Lundi 20 mars 2017, pour la projection de Sac la Mort, le réalisateur du film était présent et a animé la séance en présence de 45 spectateurs dont 5 personnes originaires de l’Ile de la Réunion. Les échanges avec l’équipe de Cinéphiles avant et après la séance, ainsi que les échanges avec le public ont été très fructueux et ont donné un éclairage sur le parcours d’Emmanuel Parraud : sa relation avec l'île de la Réunion ainsi que sa vision du cinéma.
Emmanuel Parraud a découvert la Réunion par hasard, grâce à un voyage de jumelage entre sa ville Vaux en Velin et une cité de la Réunion. Hasard du désistement d’un accompagnateur, mais aussi hasard de la présence, parmi l’équipe, d’une personne originaire de l’Ile, qui va l’introduire à la complexité de l’imaginaire des personnes. De rencontres en rencontres, il fait connaissance avec un univers très particulier, celui des Cafres, descendants des esclaves africains qui travaillaient dans les plantations de canne à sucre. «Je voulais un film qui, sans rien cacher de la réalité de leur condition d’existence, ne tomberait pas dans le misérabilisme, la stigmatisation, le renforcement des clichés ; dangers qui guettent tous les films qui s’aventurent sur le terrain de la connaissance de l’Autre. J’ai compris que seule la fiction le permettrait. Ce détour par le récit et les personnages est indispensable, parce qu’en éloignant le spectateur de la réalité le temps du film, je pourrai la lui rendre plus prégnante après la projection, lorsqu’il retrouvera la vraie vie en quittant la salle, en croisant un autre Patrice dans la rue».
Il découvre ainsi la persistance d’un imaginaire collectif, notamment la crainte de la nuit où des esprits rôdeurs peuvent s’emparer de vous pour trouver un corps. D’où des difficultés pour faire tourner son personnage principal, Patrice, lors des scènes de nuit! Et le titre du film «Sac à Mort», thérapeutique magique par laquelle on enfouit dans un sac tout ce qui peut symboliser la source de vos difficultés et de votre mal-être. Sac abandonné au détour d’une route et malheur à celui qui marche ou roule dessus. C’est lui qui héritera des problèmes!
Emmanuel Parraud a utilisé des acteurs non professionnels, à l’exception de deux d'entre eux. Il a raconté comment il a rencontré les deux principaux, Patrice et Charles-Henri, qui se sont révélés de remarquables comédiens, s’exprimant en créole, innovant et brodant sur le canevas proposé par le réalisateur. C’est cela que nous restitue Emmanuel Parraud, non dans un documentaire, mais dans un film de fiction pour lequel il fait sienne la formule de Jean Renoir «L’art de la fiction, c’est pouvoir s’affranchir de la réalité pour mieux y revenir». Les échanges avec les spectateurs originaires de la Réunion ont montré combien il a touché juste, tant ceux -ci se sont reconnus dans le portrait de l’Ile et de la partie de ses habitants présentée dans le film. Le cinéaste a expliqué aussi sa vision du film, entre thriller et tragédie, entre scènes de rêves et de réalité, sa référence étant Robert Bresson, en particulier, ici, dans la persistance du mal, sous la forme du «sac la mort». Le mal ne disparaît pas, mais persiste et se transmet. Choix aussi d’un récit et d’un montage où chaque scène est autonome et ne précède pas la suivante, dans un objectif de narration ; où la caméra est sensible aux détails de ce que voit l’œil. L’empathie pour le personnage exclut l’identification et l’émotion qui paralyse le jugement.
«On dit classiquement que la tragédie est morte dans nos sociétés contemporaines, qu’on ne peut plus y croire. Pourtant, on le voit bien, les êtres humains semblent incapables de changer le cours des choses. Et nous n’avons que peu de prise sur le destin de nos vies. C’est en quoi ce film, au-delà de la Réunion, au-delà de Patrice, raconte aussi pour moi, en creux, notre monde, un monde de « gentils » qui vont devenir méchants, peut-être même très méchants, dans un futur proche. J’espère qu’on pensera à ça aussi en regardant le film: ce qui se passe pour Patrice nous ressemble. Nous avons, nous aussi, nos « sacs la mort ». (Emmanuel Parraud, mai 2016 )